L’existence de la commune d’Awala-Yalimapo ne peut se comprendre qu’au regard de l’histoire de la Guyane et du combat des Amérindiens pour leur auto détermination. Après la « perte » de son statut de colonie en 1946, la Guyane devient un département français d’outre-mer. Les Amérindiens gagnent alors un peu plus de liberté et une première génération des communautés est envoyée à l’école.
Dans les années 1980, les chefs coutumiers se réunissent et demandent « aux jeunes de traduire leurs aspirations dans le langage politique », se souvient Jocelyn Thérèse, président de la Fédération des organisations autochtones de Guyane (Foag) et vice-président du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengué. C’est alors que l’Association des indiens de Guyane voit le jour, dont le premier président, Felix Tiouka est l’actuel premier adjoint au maire d’Awala-Yalimapo.
L’association revendique « un certain nombre de droits, notamment des droits fonciers » et adresse au gouvernement français un mémorandum sur la question des droits des Amérindiens. Parallèlement, le mouvement amérindien entame des négociations avec les partis politiques guyanais pour obtenir « plus de prérogatives et la participation aux prises de décision dans les organes consultatifs comme le CCEE (Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement) ou le CESR (Conseil économique et social régional) », poursuit Jocelyn Thérèse.
L’action politique est un révélateur pour le peuple ka’lina. C’est à travers elle qu’il mesure l’importance du contrôle de la gestion des terres. Il en va de la sécurité territoriale des Ka’lina qui entretiennent un lien fort avec la nature mais qui se sont trop « habitués » à être chassés de leur territoire ou à subir le contrôle des autorités.
Une revendication qui ne se fait pas sans heurts. Les affrontements, notamment physiques, se multiplient dans les années 80, et conduisent les politiques métropolitains à se rendre en Guyane. De Louis Le Pensec, ministre de l’Outre-Mer (1988-1993) jusqu’au Premier ministre Edouard Balladur en 1994. « C’est comme s’ils se rendaient compte tout d’un coup que les Amérindiens avaient une voix et savaient la faire entendre », se rappellent, médusés, certains habitants d’Awala-Yalimapo.
La crise calédonienne contribuant à l’époque à accélérer les négociations. Le gouvernement reconnaît l’autorité des chefs coutumiers et propose la création d’une commune de plein exercice avec un contrôle administratif et politique géré par les Amérindiens eux-mêmes. C’est ainsi que naît, en 1988, la commune d’Awala-Yalimapo : « Un outil administratif et politique au service de notre culture et de nos populations », estime Jocelyn Thérèse.
Car ici, le maire n’est pas seul aux commandes ! La gestion de la commune s’inscrit en effet dans un partage des prérogatives entre le maire et les deux chefs coutumiers, celui d’Awala et celui de Yalimapo (respectivement Michel Thérèse et Daniel William). Ce qui n’a pas été simple à mettre en œuvre.
Jean-Paul Ferreira, l’actuel maire de la commune, se souvient : « L’équipe municipale qui avait été élue en 1995 ne voulait pas reconnaître la place des chefs coutumiers. Les tensions étaient devenues énormes avec la population. Nous lui avons tenu tête en organisant des manifestations. Jusqu’à ce que nous soyons élus en 2001 avec comme base la volonté de réconciliation. » Une gouvernance « à deux têtes » se met alors en place en s’appuyant sur une recommandation du Conseil d’État. « Dans le droit applicable outre-mer, notamment en Guyane, on peut adapter un certain nombre de normes, rappelle Jocelyn Thérèse. Il est même recommandé aujourd’hui d’innover pour s’adapter aux réalités socioculturelles et géographiques. »
Des réunions de concertation pour déterminer les limites des prérogatives de chacun sont planifiées. Une commission mixte se met en place avec les représentants du conseil municipal, les chefs coutumiers et des personnes ressources qu’elles ont désignées. « Quand les habitants ont un problème, ils viennent d’abord nous voir avant d’aller voir le maire », affirment Michel Thérèse et Daniel William.
De fait, les chefs coutumiers sont les garants de la culture ka’lina, de la cohésion familiale, des traditions et surtout de l’utilisation des terres. Ici, la gestion du foncier est d’abord un droit collectif, même si le droit individuel s’applique aussi.
Les 18000 hectares du territoire communal appartiennent à la communauté, pas aux individus. Ce qui explique que les chefs coutumiers en aient la gestion. Les autorisations de résidence, les permis de construire, les litiges familiaux passent donc par les chefs coutumiers avant d’être validés administrativement par le maire, qui dispose cependant des mêmes prérogatives « que n’importe quel maire, dans n’importe quelle autre commune de France », souligne Jean-Paul Ferreira.
Seulement, le contexte ici est très particulier. « C’est une donnée avec laquelle je fonctionne depuis que je suis tout petit et que j’ai naturellement intégrée dans mes fonctions d’élu. Le tout étant de trouver des solutions pour concilier les deux. Par exemple, lors des cérémonies, je ne suis qu’un simple sujet du chef. Je refuse d’être à sa table. Quand je suis dans mon rôle de maire, le chef est l’un de mes administrés. »
Les avancées gagnées par Awala-Yalimapo s’inscrivent dans le combat plus vaste des droits des Amérindiens, parvenu à s’internationaliser depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, dont est issu l’agenda 21 ; cet outil permet de « casser les obstacles nationaux » en reconnaissant « le rôle vital des peuples autochtones dans la préservation des écosystèmes et leurs connaissances traditionnelles, explique Jocelyn Thérèse. On a fait prendre conscience à l’État que nous ne sommes pas cantonnés à Awala-Yalimapo. On essaie maintenant d’influencer les autres communes de Guyane et de les inciter à installer des conseils coutumiers à égalité avec les maires ». Des communes, comme Macouria, Iracoubou ou Saint Georges, sont déjà en pourparlers. « Nous ne sommes pas un parti politique. Nous sommes certes minoritaires, mais nous sommes capables de mobiliser », conclut le président de la Foag.
L’avenir est-il à la création d’un parti politique amérindien ? Si les organisations amérindiennes considèrent que ce n’est pas impossible, pour Jean-Paul Ferreira, c’est une mauvaise idée. Il craint une forme d’auto-marginalisation et préfère que les chefs, la commune et les organisations autochtones poursuivent leur travail conjointement. « Malheureusement pour nous, la France se définit aujourd’hui comme une et indivisible. Il faut qu’elle reconnaisse les populations amérindiennes et ratifie un certain nombre de traités. Les Amérindiens ne remettent pas en cause son unité. Au contraire, ils peuvent contribuer à renforcer sa capacité à accepter son passé. »
Les Amérindiens de Guyane
Les Amérindiens représenteraient au moins 9000 personnes en Guyane sur 237 550 habitants en 2011 selon l’Insee.
Ils se divisent en six groupes culturels majeurs les Kali’na (entre 2 000 et 4 000), les Lokonos (150-200), les Palikurs (600 et 1 000), Emirillon (sud de la Guyane), Wayanas (200-900) et les Wayampis (400-600).
On compte trois familles linguistiques amérindiennes : la famille Arawak (les Arawak et les Palikour), la famille Caribe (les Kalihna et les Wayana) et la famille Tupi-guarani (les Emerillon et les Wayampi). Parmi celles ci, la langue kali’na serait la plus à même de survivre en raison d’un nombre important (environs 10000) de locuteurs dans les pays voisins.
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