C’est ce qu’on appelle un cliché : à la simple évocation de la Guyane, voilà que l’image de l’île du Diable ira se coller au fond du cerveau du métropolitain non-averti. Il aura bien raison, car il ne faut jamais oublier que le bagne du Guyane a longtemps maintenu la France sur le podium des pires conditions pour les prisonniers, au point de choquer l’opinion publique américaine. Albert Dreyfus et Papillon ont été les « pensionnaires » les plus célèbres du bagne de Guyane.
Par Marius Caillol
Sur 70 000 déportés aux Îles du Salut, qui rappelons-le, n’était qu’un bagne parmi les nombreux construits en Guyane, seuls 10 000 en sortiront vivants ! Sans compter les nombreux enfants des gardiens, morts de diverses maladies tropicales pour qui un cimetière local fut spécialement dédié. Sur ce petit archipel aux apparences paradisiaques situé à 20 kms au large de la côte guyanaise, les prisonniers mourraient le plus souvent d’épuisement et d’insolation à construire leurs propres cellules sous un soleil de plomb. Car la déportation au bagne n’incluait pas que l’isolement.
Le Bagne, une idée « lumineuse »
Le concept du bagne, mélangeant travaux forcés et incarcération, était déjà présente au XVIIIè siècle en France métropolitaine à Brest et à Toulon notamment, mais c’est après l’abolition de l’esclavage que les bagnards vont devenir la palliation « idéale » pour développer l’Outre-mer français.
C’est sous l’impulsion de Napoléon III au milieu du XIXè siècle, et son projet de valorisation du territoire guyanais (devenu français à la fin du XVIIè siècle), que 6 000 bagnards seront envoyés sur les plages de St-Laurent du Maroni et sur les Îles du Salut pour qu’ils saisissent « leur deuxième chance ». En effet, l’une des premières intentions de cette politique était de « régénérer » les forçats en leur permettant une nouvelle vie dans un lieu où tout était à construire.
Dans les faits, cela ressemblait d’avantage à une politique d’élimination, d’exclusion des indésirables, politiques de préférence, ces derniers perdants toute influence à 9 000 km de la métropole, et ce durant presque 200 ans.
Le Silence des agneaux
Réservé aux criminels récidivistes et autres stars de la cour d’appel, l’Île Saint-Joseph (une des trois îles qui composent les Îles du Salut avec l’Île Royale et la bien connue Île du Diable) y pratique un bagne particulièrement dur. Ici, contrairement à l’Île Royale, les déplacements sont extrêmement limités : une balade par jour les pieds enchainés dans une pièce ouverte.
Le reste du temps était passé dans les petites cellules avec des grilles sur le toit pour permettre aux gardiens d’avoir un œil plongeant sur les condamnés. La plus importante des règles à respecter était « Le Silence ». Une règle d’or qui sera aussi appliquée à la lettre pour le plus connu des condamnés au bagne : la Capitaine Alfred Dreyfus. Celui-ci passera quatre années sur l’Île du Diable dans un isolement quasi-absolu, puis sera reconnu innocent notamment grâce au fameux J’accuse d’Emile Zola.
Un radeau nommé désir
L’évasion était une pensée de tous les instants pour les forçats, et certains auront fait de cette pensée une réalité comme Henri Charrière, plus connu sous l’alias de « Papillon ». Il racontera son histoire – empruntée en grande partie à ses semblables – dans un livre adapté plus tard par Hollywood avec Steve MacQueen dans le rôle de l’évadé. Mais plus nombreux sont ceux qui n’ont jamais réussi à rejoindre le rivage du continent à Kourou, séparés par 20 kilomètres de courants marins très forts. Cerise sur le gâteau, le rejet directement dans l’océan du sang provenant de l’abattoir de l’île attirait une population importante de requins, qui par l’odeur alléchés ne faisaient point fine bouche en apercevant un homme en quête désespérée d’une évasion de là où l’on ne s’évade pas…
This is the End
Enfin le journaliste Albert Londres associera aussi son nom au bagne des Îles du Saluts, en décrivant les conditions de vies misérables des forçats dans un reportage paru en 1923. Bien qu’on considère le célèbre reporter comme celui qui a permis la fermeture du bagne, il aura fallut 23 ans pour que les derniers prisonniers soient rapatriés à Marseille grâce à l’aide de l’Armée du Salut en 1947. Pour l’anecdote, Albert Londres n’a jamais milité pour la fin du bagne, il pensait plutôt qu’il fallait mieux nourrir, ou mieux traiter les bagnards pour les rendre plus productifs…
La richesse de la Guyane a dans son ombre l’Histoire de la France des colonies, celle qui envisageait l’égalité comme un concept exclusif à certains. La souffrance et la violence institutionnalisée contre les autochtones, les déportés, les esclaves et les forçats sont les pierres fondatrices de cette histoire de la Guyane Française. Et les Îles du Salut était la plus belle illustration d’un paradis rendu enfer.